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Spidy, Tartiflette & Compagnie
9 novembre 2015

Chapitre 4

         Nous prîmes l'ascenseur en silence, chacun perdu dans ses pensées. De retour dans ma chambre, je m'assis sur mon lit et demandai à Hugo où se trouvait Ludivine.
         - Elle s'occupe d'un autre arrivant en ce moment, répondit-il en prenant place sur sa chaise.
         Décidément, ils se ressemblaient physiquement beaucoup, ces deux-là. Je décidai d’en avoir le cœur net.
         - Vous et Ludivine, vous êtes jumeaux?
         Hugo parut surpris.
         - Non, nous n'avons aucun lien de parenté. Pourquoi cette question?
         - Pour rien… Une idée comme ça… répondis-je en souriant. Et donc, si j'ai bien saisi, le boulot de Ludivine est de nous accueillir dans notre "nouvelle vie"?
         - Oui, c'est exact.
         Hugo m'expliqua que le travail de Ludivine consiste à nous assister dans notre phase de réveil. Elle passe d'une chambre à l'autre et nous aide à nous acclimater grâce à certaines facultés qu'elle a héritées, comme celle de nous calmer quand nous nous concentrons sur sa voix à l'aide d'exercices respiratoires. Une sorte d'hypnose, en somme. Je compris alors pourquoi j'étais restée relativement sereine à mon arrivée ici, même si j'avais légèrement flippé avec cette histoire de psychopathe.
         - La reverrais-je?
         - Non Zoé, je ne pense pas. Son travail auprès de vous est terminé. D'ailleurs, en parlant de travail… dit-il en claquant les mains sur ses cuisses avant de se lever d'un bond.
         Il se dirigea vers la commode et ouvrit le tiroir en haut à droite, d'où il extirpa un mince dossier.
         Aïe! Ce n'était donc pas une plaisanterie, leur histoire de boulot, soupirai-je.
         Puis il se retourna vers moi en souriant de toutes ses dents, avec le même air retors qu'arbore un gamin qui prépare un coup tordu.
         - Le nom de Gontran Fontaine vous est-il familier?
         - Euh… Vous parlez du Fontaine qui bosse… pardon… qui bossait dans la même banque que moi?
         - Celui-là même. Que savez-vous de lui, Zoé?
         - Euh… rien. Nous ne travaillons pas… pardon… nous ne travaillions pas dans le même service. On se croisait de temps en temps dans les couloirs. Je le voyais le matin à la pause. Ce n'est pas quelqu'un de très sympathique. Un peu comme votre chef, Juda. D'ailleurs, Fontaine aussi est responsable de son service. A croire que tous les gradés possèdent les mêmes caractéristiques: l'arrogance, le…
         Hugo me coupa froidement.
         - Juda n'est pas mon supérieur.
         - Ah? Désolé… ou plutôt tant mieux… euh… je voulais dire désolé pour la méprise mais tant mieux pour vous qu'il ne soit pas votre supérieur, rectifiai-je sur le champ avec mon sourire Pepsodent[1].
         - Mmm... Un autre détail le concernant vous reviendrait-il en mémoire?
         - Non. Je ne vois pas. Je ne l’aime pas et je ne me suis jamais souciée de lui. Pourquoi Fontaine vous intéresse-t-il? demandai-je soudain excitée. Il a fait quelque chose de mal? Il a tué quelqu'un? Son voisin? Sa concierge? Je vais devoir le punir pour tous ses méfaits? Ce sera ça, mon job?
         - Non, Zoé, monsieur Fontaine n'a rien fait de répréhensible.
         Dommage, ça aurait pu être amusant de le croiser ici en mauvaise posture, soupirai-je déçue.
         - Pourrais-je savoir, sans vous commander, pourquoi lui a droit à du Monsieur Fontaine et moi à du Zoé? grinçai-je en insistant bien sur le
"Monsieur ".
         Hugo soupira bruyamment.
         - Calmez-vous Zoé. Je trouve beaucoup plus simple et convivial de nous appeler par nos prénoms. Mais si vous y tenez réellement, je peux vous donner du "Mademoiselle Bourdon".
         -  Non, c’est bon, appelez-moi comme bon vous semble. Et donc… c'est quoi le problème avec Fontaine?
         - Il n'y a aucun problème avec Monsieur Fontaine, répondit Hugo en me regardant droit dans les yeux et en insistant volontairement sur le "Monsieur". Gontran Fontaine EST votre travail.
         - D'accooooord…, marmonnai-je d'un ton méfiant. Il est ici?
         - Non, il demeure toujours sur terre. Avant de vous informer précisément de la nature de votre tâche, il faut que j'éclaircisse certains points.
         Hugo se rassit en face de moi et me résuma ce qu'il savait de notre but dans l'existence. Il m'expliqua que nous vivons plusieurs vies. Que nos différentes vies sur terre s'apparentent à des apprentissages. Une sorte de grande école à l'échelle planétaire. Et qu'avant notre naissance "humaine", nous nous trouvons où nous sommes actuellement.
         Mais pas dans le même bâtiment.
         En fonction de nos acquis, de nos expériences, des connaissances déjà assimilées, nous choisissons quel sera le "prochain cours" que nous désirons suivre. Que souhaitons-nous apprendre dans notre nouvelle vie terrestre? Dans certaines circonstances, l'Au-delà nous vient en aide quand nous nous éloignons de notre but. Des individus ont alors pour mission de s'insinuer dans l'esprit des personnes qui ont besoin d'un coup de pouce pour les remettre sur les rails. Ces incursions peuvent se traduire par des intuitions, des impressions de déjà-vus quand nous sommes réveillés.
         Et c'est là que j'intervenais. Ma mission consistait à devenir le Jiminy Cricket[2] de Fontaine.
         Super! Il ne manquait plus que ça. Moi qui ne parvenait déjà pas à m'occuper de moi, je devais en plus jouer les nounous. Et de Fontaine, qui plus est! Et tout ça à cause de Juda, parce qu'il ne voulait pas admettre que c'était un accident.
         Foutue fierté masculine!
         - Dites-moi, aller fouiner dans le cerveau des gens, ce n'est pas très moral, grommelai-je contrariée.
         - Personne ne "fouine dans le cerveau des gens", pour reprendre votre expression. Les personnes chargées de ce genre de mission, tout comme vous, ne sont pas habilitées à lire les pensées des individus qu'ils visitent. Vous n'aurez, par conséquent, pas accès aux pensées intimes de monsieur Fontaine.
         Comme si les pensées intimes de monsieur Fontaine pouvaient intéresser qui que ce soi, marmonnai-je intérieurement. Mis à part des pouffes anorexiques et des décapotables, je me demandais ce qu’il pouvait bien y avoir dans son cerveau de cinquantenaire célibataire.
         Dépitée, je ronchonnais pour la forme.
         - Très bien. De toute façon, ce n'est pas comme si j'avais le choix, hein?
         Hugo me sourit et se leva pour se diriger à nouveau vers la commode.
         - En effet, Zoé.

         Depuis cinq bonnes minutes, assise sur mon lit et toujours aussi abattue, je regardais Hugo accroupi devant ma commode. Il s'acharnait sur ses deux foutues portes en rouspétant, quand tout à coup le miracle se produisit. Elles cédèrent et un écran plat apparu.
         Je n'en croyais pas mes mirettes.
         - Vous êtes câblés au Paradis? m'exclamai-je ébahie.
         - Premièrement, nous ne sommes pas au Paradis. Et, deuxièmement, cet objet n'est pas ce que vous avez coutume d'appeler une télévision, mais votre outil de travail, répondit-il en se relevant péniblement.
         - Je me disais aussi…
         - Pardon? lâcha-t-il en se retournant vers moi.
         - Non non, rien. Je pensais tout haut… murmurai-je en me grattant la tête. Et alors, cet objet? En quoi va-t-il me servir concrètement?
         - Il vous permettra de vous connecter avec le cerveau de monsieur Fontaine. De pénétrer dans ses rêves. De voir ce qu’il regarde quand il est éveillé. Et cetera.
         Je fermai les yeux et me laissai tomber à la renverse.
         - Je vais mourir d'ennui… Vous aviez raison tout à l'heure. Ici ce n'est pas le Paradis, c'est l'Enfer, murmurai-je tristement.
         - Allez, Zoé, ne soyez pas si défaitiste. Et je vous ai déjà dit que l'Enfer n'existe pas. Si cela peut vous procurer un peu de consolation, dites-vous que vous pourrez revoir vos anciens collègues...
         Hugo vint s’asseoir à mes côtés.
         - N'aviez-vous pas fait allusion à une certaine Francine? ajouta-t-il en souriant.
         - Oui, Francine Ménard, répondis-je en me rasseyant à mon tour. On bossait ensemble. Son mari, Louis, travaille également dans cette banque, au service juridique. Les Ménard… soupirai-je avec nostalgie. Ils vont beaucoup me manquer…
         Nous échangeâmes un regard.
         - Bon, Zoé. Il est temps de se mettre au travail! annonça-t-il en claquant ses mains sur les cuisses.
         Il se releva, s'empara du dossier de Fontaine qui reposait sur la commode et me le tendit. Celui-ci contenait une brève description de ses faits et gestes, de sa naissance à ce jour.
         Certaines pages étaient manquantes.
         En résumé, Fontaine était né le 11 octobre 1964. Fils unique, il avait perdu sa mère à l'âge de neuf ans, décédée après une longue maladie. Son père s'était remarié deux ans plus tard, avec la femme qui partageait sa vie depuis la mort de son épouse. D'abord réticent, le fils avait fini par adopter la nouvelle venue. A dix-huit ans, il fut victime d'un grave accident de moto qui le laissa boiteux et l'obligea dès lors à se déplacer avec une canne. Après plusieurs semaines d'hospitalisation, Fontaine quitta la région sans remettre les pieds dans la maison familiale. Son père mourut il y a dix ans et depuis sa belle-mère gérait l'exploitation agricole.
         Pourquoi Fontaine avait-il bu plus que de raison ce soir-là, alors qu'il ne semblait pas vraiment porté sur la boisson? Un événement grave avait dû survenir. Mais lequel? Je tournais frénétiquement les pages en ma possession à la recherche de cette information.
         En vain.
         Je levai les yeux vers Hugo pour demander des précisions à ce sujet, mais décidai finalement de l'interroger plus tard.
         - Je ne comprends pas… En quoi puis-je aider Fontaine? demandai-je, les yeux fixés sur sa biographie. Le père est mort, ma mission ne consiste donc pas à les réconcilier. Il vit seul, donc pas de problème de couple ou de gestion d'ado en crise… Ok, il n'a pas une vie très passionnante. Mais c'est le cas de la plupart des gens, non? Alors…
         Ma voix s'étrangla. Je venais de tomber sur une révélation HALLUCINANTE!
         Fontaine avait récupéré Tartiflette!
         Vous vous souvenez d'elle? La siamoise de ma grand-mère. Comment ce con de chat avait atterri chez lui? Et pourquoi? Je regardai Hugo la bouche grande ouverte et pas mal honteuse, je vous l'avoue. Avec tous les rebondissements survenus ces dernières heures, j'avais complètement zappé la siamoise d'Henriette. Hâtivement, il m'apprit que Francine avait collé de force Tartiflette dans les bras de Fontaine, prétextant qu'on ne pouvait décemment pas expédier cette pauvre bête (qui avait déjà vécu la mort de deux maîtres!) à la SPA comme une malpropre. Qu'elle-même n'avait pas le temps de s'occuper d'un animal (ayant déjà fort à faire avec son fils et son mari) et que, comme de toute façon il vivait seul, et bien ça lui ferait un peu de compagnie.
         Point barre.
         Incrédule, j’osais à peine formuler ma question.
         - Mon job, ce n'est tout de même pas de l'aider à s'occuper de ce stupide animal?
         Hugo fit des efforts pour ne pas éclater de rire.
         - Non Zoé. Votre travail n'a rien à voir avec cette brave Tartiflette.
         Cette "brave Tartiflette"? Voilà autre chose. Si il avait dû s'en occuper ne serait-ce qu'une journée, il tiendrait un autre langage. Même lui, elle l'aurait eu à l'usure, la "brave Tartiflette". Cette chatte était une vraie calamité, oui. L’invasion des sauterelles envoyées par Moïse, c’était du pipi de chat à côté d’elle, vous pouvez me croire. D’un autre côté, si elle pouvait un tant soit peu malmener la vie trépidante de Fontaine, ce n’était peut-être pas une mauvaise chose qu’elle ait fini chez lui.
         - Monsieur Fontaine, continua-t-il, nourrit beaucoup de rancœur. Votre travail est de l'aider à s'en délester et... Qui a-t-il, Zoé? Vous paraissez… dépitée.
         Dépitée, le mot était faible.
         - Je m'attendais à une super mission, à un truc vraiment important, à un travail de super héroïne, quoi! Ce travail est aussi inutile que celui que j'exerçais de mon vivant…
         - Détrompez-vous. En aidant monsieur Fontaine à se débarrasser de toute la rancune qui le ronge depuis des années, vous pourrez l'aider à commencer une nouvelle vie. Votre tâche est essentielle, Zoé.
         Je soupirai.
         - D'accord, si vous le dites. Et pratiquement, comment ça marche votre truc? Vous allez me téléporter dans sa chambre et je vais lui murmurer à l'oreille des choses réconfortantes? Lui donner des instructions qu'il devra suivre à la lettre?
         - Vous n'y êtes pas du tout!
         Il m'expliqua que tout était affaire de concentration et de maîtrise de soi. En gros, il me suffirait de pénétrer dans l'esprit éveillé de Fontaine ou dans ses rêves à l'aide du fameux écran noir, grâce à une méthode qu'il allait m'enseigner. Pour les rêves, nos pensées fusionneraient et je pourrais en modifier le contenu ou en créer un nouveau. En ce qui concernait mes incursions dans son esprit éveillé, je ne serais que spectatrice. Si je tentais de lui dire quoi que ce soit, il n'entendrait rien, ses pensées étant plus fortes que ma voix. Par contre, je ressentirais tout ce qu'il ressentirait.
         Quel pouvoir, mes amis!
         - Pendant que nos pensées fusionneront, l'interrompis-je, Fontaine pourra-t-il sentir ma présence?
         - Non, pas le moins du monde. Il pourra ressentir une étrange sensation au réveil, selon le rêve que vous lui aurez implanté. Mais cela en restera là. Et, bien entendu, vous ne pourrez à aucun moment prendre possession de son corps.
         - Bien entendu… murmurai-je.
         Et encore heureux! Il ne manquerait plus que ça. Déjà que leurs implantations de rêves, là, je trouvais ça limite. Mais bon, ils devaient sûrement savoir ce qu'ils faisaient.
         Afin que je puisse comprendre plus facilement, il compara ma chambre au cerveau de Fontaine. Moi, je serais une sorte de particule qui graviterait dans sa tête. Comme dans ce film des années quatre-vingts, L'Aventure Intérieure, dans lequel Dennis Quaid est miniaturisé et injecté dans un corps humain. Il m'avertit également que je ne pourrais me connecter que pendant de courtes périodes, surtout dans les phases d'éveil, car mes efforts de concentration exigeaient beaucoup d'énergie. En cas d'abus, je pourrais même perdre connaissance.
         Charmant!
         - Des questions?
         - Euh… non. Pour l'instant je n'en vois aucune.
         - Alors commençons, si vous le voulez bien.



[1] marque de dentifrice
[2] personage de fiction, petit grillon dans Pinocchio (Disney)

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Commentaires
T
Moi je verrais bien une histoire d'amour entre Zoé et Hugo... Je dis ça... comme ça ;)
F
Super chapitre, qui donne envie de lire la suite...
Spidy, Tartiflette & Compagnie
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Besoin d'aide

Bonsoir!

Je ne parviens pas à poster mon chapitre 8.

Si l'un de vous peut me dire comment procéder pour créer un menu déroulant dans cette colonne, je le remercie infiniment...

Salutations!

Et une excellente année 2016!

:)

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