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Spidy, Tartiflette & Compagnie
14 décembre 2015

Chapitre 7

         Je refermai les portes de la commode et rapprochai la chaise. Une fois assise, je pris une feuille et un crayon pour élaborer ma stratégie. Tout en mordillant mon crayon, je me disais qu'il me faudrait pénétrer dans l'esprit de Fontaine durant son sommeil. En effet, quand il était réveillé, il me serait impossible de l'influencer d'une quelconque manière. Je devais donc suivre certaines règles si je voulais mener au mieux ma mission.
         Quelques heures plus tard, après avoir réalisé une esquisse du visage de Sarah et recouvert deux pages de mes hiéroglyphes, j'étais parvenue à rédiger une marche à suivre convenable.  

Objectifs :
    a) faire en sorte que Fontaine tombe éperdument amoureux de Sarah
    b) quand se sera chose faite, aider Fontaine à séduire Sarah

 Règles à suivre :
    1) je dois m'introduire dans l'esprit de Fontaine pendant une phase de sommeil sans rêve (il doit impérativement être cent pour cent réceptif  à mes
        suggestions)
    2) si je me connecte pendant qu'il est conscient ou qu'il nage en plein cauchemar, je dois me déconnecter sur le champ pour éviter de perdre trop
        d'énergie. Je devrai ensuite me reconnecter jusqu'à ce que je tombe dans une phase sans rêve
    3) dès que je serai parvenue dans une phase sans rêve, j'implanterai des images de Sarah en me concentrant sur le portrait d'elle que j'ai dessiné tout à
        l'heure et en murmurant son nom en boucle (et si je lui suggérais des scènes subjectives? A voir le moment venu)
    4) répéter les points précités jusqu'à complète réalisation de l'objectif a)

         En ce qui concernait le deuxième objectif, je décidai de m'y atteler plus tard. Mieux valait résoudre un problème après l'autre, sinon je risquais de me mélanger les pinceaux.
         Je relis une dernière fois mes consignes avant de m'allonger un instant pour essayer de me souvenir de détails concernant Fontaine. Des choses qu'il avait dites ou faites de mon vivant pour m'aider dans ma tâche. Mais à part cette fameuse soirée où il m'avait remise à ma place, alors que j'avais seulement voulu lui venir en aide en ramassant sa foutue assiette en morceaux et nos pauses communes, je ne voyais rien.
         Bah, tant pis, me dis-je m'asseyant sur mon lit, je verrai au jour le jour comment les choses évolueront.

          Fontaine était soucieux. Il se dirigeait vers l'ascenseur. Qu'est-ce qui le tracassait ainsi? Pourquoi ne pouvais-je pas lire dans ses pensées? Cela m'aurait facilité la vie pour lui venir en aide. Oui, je sais, ce n'est pas très moral. Mais qui s'en soucierait? Il n'en saurait jamais rien, d’ailleurs. Moi morte et lui vivant, où serait le problème, je vous le demande?
         Comme il était éveillé, et de plus dans cette banque que j'avais déjà suffisamment côtoyée quand j'y bossais, je mis fin à la liaison

         et commençai à compter lentement jusqu'à deux cents, en tambourinant du pied par terre, suite à une intuition subite. En procédant de la sorte, je pourrais avoir une vague idée du temps qui s'écoulait sur terre.
         Puis je me reconnectai.

          Fontaine se trouvait dans l'ascenseur et regardait défiler les étages. J'en déduisis que compter jusqu'à deux cents équivalait à environ trois minutes.

          Je ne pouvais vraiment pas passer tout mon temps à compter, ce serait vraiment lassant, ruminai-je en tapant à nouveau du pied. Je comptai cette fois jusqu'à deux mille, pour vérifier si ce laps de temps pouvait correspondre plus ou moins à une demi-heure, avant de me reconnecter.

          Je me retrouvai nez à museau avec Tartiflette courbée sur sa gamelle. Fontaine était en train de lui servir sa pâtée. Pouah! J'avais oublié à quel point ça puait, ce truc. Nouvelle connexion dans le vide, pensai-je agacée. Fontaine se releva, tira une chaise, s'assit et observa la siamoise ingurgiter sa pitance. N'étant nullement intéressée par la vision de cette stupide chatte en plein festin, je me débranchai.

         De retour chez moi, je me remémorai mes précédentes connexions pour remettre à plat ce que je savais.
         Dans la première, Fontaine marchait en direction de l'ascenseur. C'était celui de son étage, j'en étais certaine. J'avais reconnu les tableaux accrochés aux murs. Juste avant que je m'en aille, j'avais eu le temps de distinguer son reflet sur les portes coulissantes. Il était vêtu d'un costume sombre et d'une cravate de couleur bordeau.
         Dans la deuxième, il se trouvait dans l'ascenseur.
         Dans la troisième, il portait toujours sa cravate. Je l'avais vue pendant qu'il nourrissait Tartiflette, penché sur son écuelle. Quand il s'était assis, j'avais entre aperçu ses cuisses et le pantalon sombre. De mon vivant m'était-il arrivé de voir Fontaine deux jours de suite habillé pareillement?
         Jamais.
         Par conséquent, deux options s'offraient à moi:
              1)  les trois connexions avaient eu lieu le même jour
              2)  il s'était écoulé plusieurs jours entre les connexions
         J'avais compté jusqu'à deux mille. Ce pouvait-il que pendant ce laps de temps, plusieurs jours se soient envolés? D'accord, le temps filait plus vite sur terre, mais quand même. A ce rythme, Fontaine serait bon pour l'hospice en moins de deux. La logique voulait que mes deux connexions aient eu lieu dans la même journée. Je décidai d'opter pour la logique.
         Si je continuais dans ma réflexion en restant cohérente… Dans ma première vision, Fontaine prenait l'ascenseur pour regagner son domicile et dans la deuxième il venait d'arriver chez lui. Cela tenait la route.
         Et soudain, j'eus une nouvelle idée. Sur les ordinateurs, l'heure s'affichait en bas à droite de l'écran. Je décidai alors d'alterner des phases de connexion avec différentes périodes de comptage. Il me fallait juste tomber en début de matinée pour la première connexion. Ensuite, il me suffirait de compter jusqu'à cinquante, puis cent, deux cents et cetera… en me reconnectant à Fontaine entre chaque tranche de comptage et de noter à chaque retour dans ma chambre l'heure indiquée sur l'ordinateur. De cette manière, je pourrais plus ou moins évaluer à quelle heure vivait Fontaine durant mes connexions chez lui ou dans ses rêves.
         Je sais, vous allez certainement me dire que je ne passerai pas tous mon temps à compter, qu'il y aura des moments où je devrai m'arrêter et que je perdrai le fil. Mais l'avantage de ce système, c'est qu'à chaque fois que je me reconnecterai par la suite et atterrirai en pleine nuit ou dans une phase inutile pour remplir ma mission (voire même dans un endroit où chacun de nous préfère rester seul) je pourrai me déconnecter et compter jusqu'à ce que je pense pouvoir me reconnecter.
         CQFD.
         Oui, cela tenait bien la route.
         Toute fière de moi, je me levai pour rapprocher la chaise de mon lit. Je m'emparai ensuite d'une feuille de papier et d'un crayon que je posai sur la chaise et me mis en position "connexion".

         Je vais vous faire grâce et ne pas vous bassiner avec une description détaillée de tous mes essais qui ont suivis. Je vais juste vous dire que j’étais finalement parvenue à mes fins et que j'avais réussi à dresser un tableau de conversion "temps terrestre/temps au-delà" satisfaisant.
         Plus que satisfaisant.
         J'étais aussi fière qu'un paon qui fait la roue.
         Après tout ce travail abattu, je sortis me promener. Je n'avais reçu aucune nouvelle d'Hugo. Et je n'avais plus revu Ludivine.
         Ni Juda (mais ça, c'était une excellente chose).
         L'espace d'un instant, j'avais même pensé me rendre au douzième étage, où l'on m'avait expliqué mon travail il y avait un bail. Mais, après réflexion, je me dis qu'il valait mieux attendre le retour d'Hugo. J'espérais qu'on ne lui avait pas refilé une mission impossible, genre "aller sauver une âme en détresse en Enfer au milieu d'une bande de démons cannibales à la queue fourchue et aux longues oreilles". Pauvre Hugo. Il me manquait. Peut-être serait-il fier de moi? Même si j'avais déjà bien avancé, il restait encore un long chemin à parcourir jusqu'à ce que Fontaine tombe amoureux de Sarah. Mais j'avais bon espoir.
         Sur le chemin du retour, j'aperçus Juda. Il venait en sens inverse. Aïe aïe aïe, pensai-je épouvantée, quand on pense à Juda il sort de sa tour. Il y avait un arbre, quelques pas plus avant sur ma droite. Je réfléchis une demi-seconde avant d'aller me planquer derrière. Juda était encore loin, il ne m'avait certainement pas vue. Je pris racine au pied de mon arbre providentiel, la tête appuyée sur le tronc et priant pour qu'il ne me voie pas.
         -  Bonjour mademoiselle Bourdon, entendis-je tout à coup derrière mon dos.
         Juda venait de surgir derrière moi, tel un démon cannibale à la queue fourchue et aux longues oreilles sortant de sa boîte. Je sursautai et me cognai la tête contre ce foutu arbre.
         - Euh… bonjour monsieur Juda, bredouillai-je en massant mon front endolori.
         - Quelque chose ne va pas?
         - Non non, tout va bien, répondis-je embarrassée.
         Juda me regardait de son air "je suis certain que vous êtes en train de préparer un  mauvais coup". Suspicieux, il demanda tout de go.
         - Pourrais-je savoir ce que vous faites derrière cet arbre?
         Il ne pensait tout de même pas que j'étais en train de l'espionner? De plus en plus mal à l'aise, je bafouillai:
         - Euh… j'ai perdu un truc… dans l'herbe…
         Il me fixa droit dans les yeux, pas du tout convaincu.
         - Hum…
         Comme l’aurait fait toute personne ayant bonne conscience, je soutins son regard tant bien que mal.
         - Bien. Mademoiselle Bourdon, je vous souhaite une bonne journée, termina-t-il avant de poursuivre sa route.
         J’émis un très léger "ouf!" de soulagement. Puis, dans un élan héroïque, je me précipitai vers lui.
         - Monsieur Juda, avez-vous des nouvelles de Hugo? Il va bien?
         Il s’arrêta et se retourna.
         - Hugo se porte à merveille, mademoiselle Bourdon. Il sera bientôt de retour parmi nous. Vous le reverrez très prochainement, ajouta-t-il avant de s’éloigner à nouveau.
         Pendant quelques minutes, je fis semblant de fouiner dans l'herbe à la recherche d'un objet imaginaire, histoire de ne pas perdre ma crédibilité dans l'éventualité où Juda se retournerait pour voir ce que je fabriquais. Puis je regagnais rapidement ma chambre.
         Je m'assis à mon bureau-commode pour relire mes notes, avant de me connecter à l'esprit de Fontaine. Ma rencontre avec Juda m'avait mise de mauvaise humeur. Ce qui m'enrageait le plus, c'était de ne pas savoir pourquoi je ne l'aimais pas. Hugo avait sans doute raison, ce n'était sûrement pas un mauvais bougre. Qu’est-ce qui ne clochait pas chez moi?

         Je me retrouvais à nouveau dans le cauchemar de Fontaine. Comme la première fois, il se tenait contre le mur, les yeux fermés et complètement terrorisé. Il ne manquait plus que ça pour bien finir la journée, pensai-je exaspérée. Je ne vais tout de même pas passer mon éternité à lui prendre la main pour le sortir de son trou, non? J'attendis un moment dans mon coin, pour vérifier si effectivement quelque chose ou quelqu'un lui voulait du mal, auquel cas je me serais passé mes nerfs sur lui.
         Mais rien ne vint.
         N'étant vraiment pas d'humeur à materner, je décidai de le laisser se débrouiller tout seul et fis marche arrière.

          C'est vrai, quoi, pensai-je de retour chez moi. Il n'avait qu'à se dépatouiller tout seul. C'était bien ce qu'il faisait avant que je débarque, non? A moins que j’étais devenue son énième ange gardien? C’était peut-être ça, le fin mot de toute cette mascarade. Il avait usé tous mes prédécesseurs et pour me punir de mon "faux suicide", ils me l'avaient collé sur le dos. Il faudra vraiment que j'aie une discussion sérieuse avec Hugo, quand il se pointera à nouveau, grommelais-je tandis que je faisais les cents pas dans ma chambre.
         Pour la première fois depuis mon décès, je regrettais de ne rien avoir à me mettre sous la dent. De mon vivant, quand j'étais furax, j'engloutissais des tonnes de sucreries pour me calmer. Bien sûr, j'aurais pu sortir pour me dépenser. Mais le sport, ce n'était vraiment pas mon truc. Et, en plus, je risquais de retomber sur Juda. Comme alternative, je continuai donc à trainer des pieds autour de mon lit comme une lionne en cage, en respirant profondément comme me l'avait enseigné Ludivine pour me calmer.
         Mon humeur finit par revenir à la normale. Pendant que je me rasseyais sur mon lit, j'eus mauvaise conscience d'avoir abandonné Fontaine à son triste sort. Il fallait absolument que je sache si tout allait bien pour lui.

         J'étais plongée dans le noir. Le calme régnait. J'attendis, immobile. L'humeur de Fontaine ne variait pas d'un pouce. Etais-je dans une phase sans rêve? Je me concentrai pour m'imprégner de ses émotions.
         Il était effectivement serein.
         C'était le moment ou jamais d'implanter des images de Sarah!
         Je me concentrai de plus belle sur son visage, ses cheveux, ses yeux, sa bouche tout en murmurant son prénom. Sarah… Sarah… Sarah…
         J'étais plongée dans une sorte de transe...

         Quand je repris conscience, j'étais allongée sur le dos, en travers de mon lit. Que s'était-il passé? Je ne me souvenais pas de m'être déconnectée. Une mise en garde d'Hugo me revint en mémoire au sujet des pertes de conscience. J'en avais vécu une, mais après ma déconnexion, pas en plein dedans. Je fixais un moment le plafond, puis fermai les yeux pour faire le vide dans ma tête.
         Pendant les trois semaines qui suivirent, je pénétrai régulièrement dans l'esprit de Fontaine à différentes heures du jour et de la nuit. J'avais trouvé une bonne vitesse de croisière, alternant mes implantations de Sarah dans son sommeil et mes phases d'espionnage pendant les temps de pause à la banque. J'étais aussi tombée à deux reprises dans son cauchemar durant les dix premiers jours. Et ces fois-là, je lui avais tendu la main pour l'accompagner vers la sortie, sans encombre et sans éjection.
         Quelques jours plus tard, par acquis de conscience (mais surtout parce que je m'ennuyais), j'allais quotidiennement dans son cauchemar pour lui venir en aide. Je n'étais plus retombée dans le coma. Maintenant, je maîtrisais parfaitement la chose.
         Dans l'ensemble, mon boulot d'entremetteuse me plaisait bien. Après chacune de mes visites, je notais scrupuleusement mon ressenti, les sentiments de Fontaine, son avancée auprès de Sarah.
         Je devrais plutôt dire son inertie.
         Car Fontaine n'avançait pas d'un chouia. Il était bien sûr de plus en plus intrigué par elle, je le sentais pendant mes incursions en salle de pause. Il l'examinait intensément, troublé. Mais il ne l'avait pas encore abordée. Qu'attendait-il, cet imbécile? Il n'avait pas toute la vie… Si seulement je pouvais l'influencer pendant qu'il était réveillé.
         Pour ne rien vous cacher, j'avais tenté le coup à trois reprises. Sans résultat, bien entendu. Mis à part une migraine de tous les diables après chaque tentative. Mais du côté de Fontaine, rien de rien.
         Ce type était vraiment désespérant.

         Oui, je naviguais sur des flots paisibles jusqu'à cette fameuse fin de journée où survint LA catastrophe.

 

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Spidy, Tartiflette & Compagnie
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Besoin d'aide

Bonsoir!

Je ne parviens pas à poster mon chapitre 8.

Si l'un de vous peut me dire comment procéder pour créer un menu déroulant dans cette colonne, je le remercie infiniment...

Salutations!

Et une excellente année 2016!

:)

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