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Spidy, Tartiflette & Compagnie
1 janvier 2016

Chapitre 8

         Et pourtant, cette nouvelle journée avait bien commencé. J'étais d'humeur agréable. Mon travail me donnait entière satisfaction. Pendant ma balade, je n'avais pas croisé Juda. Enfin réconciliée avec le dessin, mes ébauches de végétation s'amélioraient visiblement. Le portrait de Sarah, que j'avais retravaillé à maintes reprises, la représentait assez fidèlement. Je venais même d'entamer celui de Fontaine.
         Fontaine…
         D'accord, il n'avait toujours pas invité Sarah à prendre un verre. Mais je sentais qu'il pensait de plus en plus à elle. Au boulot, devant son tas de lettres à signer. Chez lui dans la soirée, quand il regardait paisiblement Tartiflette manger ses croquettes. Le temps qu'il pouvait passer à fixer ce stupide animal m'hallucinait. Peut-être imaginait-il un moyen de s'en débarrasser sans éveiller les soupçons de Francine? Il me faudrait surveiller cela de plus près. L'assassinat de cette "brave Tartiflette", pour citer Hugo, risquerait fort de lui déplaire. Et puis, ce serait mauvais pour mon karma si Fontaine commettait un meurtre sous ma surveillance.
         Même celui d'un chat.
         Pour en revenir à ce que je disais, je sentais que Fontaine… comment dire… avait l'esprit ailleurs depuis quelque temps. Il me semblait ressentir, quand je squattais son esprit, ce que l'on ressent lorsque l'on commence à tomber amoureux. Une sorte de bien-être venu dont ne sait où. Je voyais son sourire béat se refléter sur l'écran de son ordinateur (et ça, mes amis, c'est un signe qui ne trompe pas!). Sa mélancolie légendaire avait lâché du terrain. Bien sûr, je ne pouvais pas savoir si Sarah en était précisément la raison. Mais mon instinct me disait que j'étais dans le vrai.
         En rentrant de ma promenade, ce fut donc toute fringante que je me préparais pour me connecter aux pensées de Fontaine.

         Assis à son bureau, il signait une dernière lettre. Dans le coin en bas à droite, l'horloge de son ordinateur indiquait dix-sept heures dix. J'entendis une voix masculine lui souhaiter un bon week-end et il leva les yeux dans sa direction. Bon week-end à toi aussi, Pierre-Yves, répondit Fontaine en le suivant du regard pendant que PYF quittait la pièce. Il éteignit son ordinateur et rangea son bureau avant de déposer son signataire sur celui de la secrétaire. Avant de s'en aller à son tour, il jeta un dernier coup d'œil pour s'assurer que tout était en ordre, puis il éteignit la lumière et ferma la porte. Tandis qu'il se dirigeait vers l'ascenseur, je scrutais son humeur. Elle était au beau fixe. Au bord de l'excitation, je me demandai si il avait enfin eu le courage d'inviter Sarah depuis ma dernière connexion. Serait-ce la raison de cette soudaine joie de vivre que je ne lui connaissais pas jusqu'à présent?
         Nous étions maintenant dans l'ascenseur, nos regards rivés sur la porte, attendant que les deux battants s'ouvrent pour nous libérer le passage. Aurais-je le temps d'assister à leur rencontre? pensai-je inquiète à l'idée de manquer d'énergie pour rester connectée suffisamment longtemps. Ces foutues portes s'ouvrirent enfin et nous traversâmes le hall d'entrée quasiment vide, direction la sortie. Fontaine salua deux ou trois personnes qu'il connaissait, sans s'arrêter pour engager la conversation. Le vendredi soir, chacun n'aspirait qu'à rentrer chez lui et nul ne désirait s'attarder plus que nécessaire.
         Nous venions de franchir les portes coulissantes, menant sur le parking réservé aux membres de la direction, quand nous aperçûmes Sarah. Elle attendait près d'un arbre, à quelques mètres de là, et regardait dans notre direction en souriant.
         - OUI, hurlai-je en bondissant hors de mon lit.

         - MERDE, m'écriai-je brusquement.
         Je venais d'interrompre la connexion. Je me rassis illico presto pour me reconnecter.

         Ouf!
         Fontaine et Sarah n'avaient pas bougés d'un iota. Je remerciai le Ciel que ces deux-là ne soient pas très débrouillards. Que feraient-ils sans l'aide inespérée de Tata Zoé, je vous le demande? Fontaine ne semblait pas décidé à avancer.
         Allez! Vas-y! Qu'est-ce que tu attends, bon sang? grognai-je en gigotant sur mon lit.
         Puis le miracle se produisit enfin. Il marcha en direction de Sarah. Mon cœur était sur le point d'exploser. J'allais assister au grand final. Comme dans les films. Quand les acteurs s'avancent l'un vers l'autre, après plus d'une heure trente d'hésitation, pour s'embrasser fougueusement dans une étreinte passionnée.
         C'est alors que les événements prirent une toute autre tournure.

         Tandis que Fontaine s'approchait de Sarah le regard rivé au sol pour voir où il mettait les pieds, j'entendis un crissement de pneus, suivi d'un claquement de portière. Il leva les yeux.
         Une voix masculine irritée vociféra:
         - Ça ne va pas la tête? C'est une zone limitée à vingt kilomètres heures ici!
         La conductrice du bolide aboya, sur la défensive:
         - Mêles-toi de tes affaires, vieux bourge! 
         Puis elle courut en direction de Sarah et se jeta dans ses bras, avant de lui susurrer à l’oreille un "Ça va ma chérie?".
         Fontaine stoppa net. Nous n'en crûmes pas nos yeux. Devant nous, une inconnue embrassait fougueusement notre Sarah dans une étreinte passionnée. Je sentis le rythme cardiaque de Fontaine s'accélérer gravement.
         Puis Fontaine tourna la tête et nous vîmes Francine, immobile à ses côtés. Elle était blanche comme un linge. Il lui demanda si elle se sentait bien. Sans répondre, elle quitta le parking comme si elle avait le feu aux fesses.
         Pauvre Francine.
         Je souris malgré le tragique de la situation.
         Avant de fulminer.
         - La garce! m'exclamai-je à voix haute. Elle en aime une autre. C'était quoi, ce bordel?
         Fontaine ne parvenait pas à quitter la scène des yeux. Je me concentrai de plus belle sur ses émotions, complètement paniquée à l'idée qu'il puisse faire une connerie sous le coup de l'électrochoc qu'il venait de se prendre dans les gencives. Et Hugo qui n'était toujours pas revenu. Ah… Il allait m'entendre celui-là. Quelle idée aussi de me laisser seul maître à bord alors que je venais à peine de débarquer dans leur Au-delà de mes deux.
         Je devais absolument me calmer. Quelques inspirations et expirations plus tard, j'avais repris possession de mes facultés mentales. Je me scotchai à l'esprit de Fontaine. Une immense tristesse l'avait envahi. Le bien-être qu'il ressentait tout à l'heure, en rangeant ses affaires, l'avait définitivement quitté. Il détourna enfin les yeux et continua sa route, tête baissée.
         Qu'avais-je fait? J'étais la seule responsable de tout ce gâchis. Je pris alors conscience de l'importance des conséquences qu'impliquaient mes actes. Fini, le temps de la rigolade, à vouloir contrôler Fontaine comme si il était ma marionnette. Il fallait absolument que je répare mes sottises.
         Mais comment?
         Cela faisait maintenant trop longtemps que je me trouvais dans l'esprit de Fontaine et je sentais la fatigue m'envahir peu à peu. Le bon sens aurait voulu que je m'en aille. Mais je ne pouvais pas le laisser tout seul dans cet état. Je ne voulais pas l'abandonner. Je lui devais bien ça. Alors je décidai de rester avec lui jusqu'au bout, jusqu'à ce que je perde connaissance. Et si je devais crever une deuxième fois, et bien soit. Je me fichais de mon sort comme de mon premier biberon.
         Pendant que je ruminais, Fontaine avait regagné son domicile à pied. Je ne l’aurais jamais imaginé rentrant chez lui à pied, surtout avec son infirmité. Une voiture adaptée à son handicap lui aurait facilité la vie.
         Il vivait dans un petit immeuble locatif sans prétention et sans ascenseur. Il gravit les trois étages qui le séparaient de son appartement. La porte d'entrée donnait sur un large couloir rectangulaire. A droite trônait un portemanteau, suivi d'une porte ouverte et d'une commode en bois foncé de style "Mamie Henriette". En face, une porte ouverte nous laissait entrevoir un canapé marron en vieux cuir, sur lequel dormait Tartiflette, les quatre fers en l'air. Sur notre gauche, trois portes: les deux premières fermées, la dernière ouverte. Il ôta son pardessus beige qu'il suspendit à même le crochet, ainsi que sa veste de costard qu'il déposa sur un cintre avant de l'accrocher à la patère. Il se déchaussa et rangea ses souliers sous le portemanteau. Plutôt maniaque, pensai-je à moitié dans les vapes. Il franchit la porte située entre les deux meubles et regarda en direction des gamelles de Tartiflette. Elles étaient encore à moitié pleines. Il se rendit ensuite dans la salle de bain pour nettoyer sa litière.
         Je souris.
         De mon vivant, j'effectuais le même rituel de retour chez moi. Priorité à la siamoise avant de me vautrer sur mon canapé pour oublier ma foutue journée de boulot.
         A un doigt de perdre connaissance, je fis un effort surhumain pour rester avec Fontaine. Il ouvrit l'une des portes du couloir, celle du milieu, et pénétra dans la pièce. J'eus un sursaut de conscience, juste avant de sombrer dans le coma, qui me permit de visualiser ce qu'il y avait à l'intérieur.
         Des bibliothèques en bois foncé, du même style que la commode dans l’entrée, recouvraient les quatre murs du sol au plafond. Même l'espace sous la fenêtre était aménagé avec des étagères. Au centre de la pièce se dressait un établi en bois de 3 mètres carré à vue d'œil, sur lequel était déposé des boîtes remplies de tissus, de morceau de bois, d'outils de toute sorte, de bobines de fil, et cetera. Et, sur chacune des étagères, des marionnettes étaient disposées pêle-mêle.

         Fontaine fabriquait des marionnettes en cachette.

 

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Commentaires
N
Excellent, les rebondissements sont pour le moins inattendus !!
Spidy, Tartiflette & Compagnie
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Bonsoir!

Je ne parviens pas à poster mon chapitre 8.

Si l'un de vous peut me dire comment procéder pour créer un menu déroulant dans cette colonne, je le remercie infiniment...

Salutations!

Et une excellente année 2016!

:)

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