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Spidy, Tartiflette & Compagnie
3 avril 2016

Chapitre 9

         Couchée sur le dos et bercée délicatement, j'entendais une voix familière qui scandait mon nom quand tout à coup ma tête fut soudain sur le point d'exploser.
         Cette scène, je l'avais déjà jouée. Ou alors l'avais-je rêvée?
         J'ouvris les yeux et reconnus tout de suite mon environnement, ce qui me rassura. Je me trouvais sur mon lit, incapable de me souvenir de quoi que ce soit. J'essayai de me relever sur un coude, mais dus abandonner la manœuvre car la pièce se mit à tournoyer.
         - Restez tranquille, Zoé, me conseilla Hugo. Vous avez perdu connaissance pendant que vous étiez connectée avec monsieur Fontaine. Cela fait environ deux jours que je vous ai trouvée au pied de votre lit, inanimée.
         - Que s'est-il passé? bafouillai-je avec peine. Je n'arrive plus à me souvenir… des marionnettes… des centaines de marionnettes partout sur les murs…
         - Tout va bien, Zoé. Restez tranquille. Fermez les yeux et reposez-vous… Tout se remettra en place d'ici peu.
         Je suivis son conseil. Après un temps qui me parut interminable, ma migraine s'estompa et je pus me remémorer ce qui s'était passé.
         Fontaine…
         - Hugo? dis-je affolée.
         Il prit ma main.
         - Oui, je suis là, murmura-t-il doucement.
         - Hugo… J'ai fait une connerie… avec Fontaine…
         - De quoi parlez-vous, Zoé?
         - A cause de moi, il est encore plus mal en point qu'avant votre départ, dis-je tristement. Je vous avais pourtant bien averti que j'étais incapable de m'occuper de qui que ce soi, ajoutai-je en me mouchant dans la manche de ma blouse. Et maintenant, à cause de moi, il est malheureux comme les pierres.
         - Zoé… Zoé! Regardez-moi, m'ordonna-t-il en me broyant la main. De grâce, calmez-vous et expliquez moi ce qui vous met dans un état pareil.
         Alors je me mis à raconter à Hugo tout ce que j'avais fabriqué durant son absence, sans omettre le moindre détail. Au point où j'en étais, pourquoi lui cacher la vérité? Je lui parlai de mon super plan pour réunir Fontaine et Sarah. Je me levai pour lui montrer mes fiches, mes dessins, mon tableau de conversion "temps terrestre/temps au-delà". Et je lui avouai également que j'avais abandonné Fontaine à son sort une fois, dans l'un de ses cauchemars.
         Après avoir terminé, je fixai honteusement le sol, assise sur le lit, en attendant la sentence d'Hugo. Un silence pesant avait envahi la pièce. C'est sûr, ça va être ma fête, pensai-je en tremblant comme Mamie Henriette à la fin de ses jours.
         Puis Hugo se manifesta.
         - Quelle idée étrange que celle de vouloir unir deux individus, dit-il calmement.
         - Eh bien… je pensais que… si il tombait amoureux, il serait heureux… sanglotai-je de plus belle. Je croyais bien faire…
         - Je comprends bien, Zoé. Mais ce n'est malheureusement pas aussi simple. Vous ne pouvez pas contrôler les sentiments d'autrui. Ce n'est pas à vous de choisir la compagne de monsieur Fontaine. Et même si vous étiez parvenue à les réunir, cela n'aurait durer qu'un temps. Il aurait été heureux au début, certes, mais ensuite ses vieux démons auraient refait surface.
         Hugo vint s’asseoir à mes côtés.
         - Avant toute chose, monsieur Fontaine doit se débarrasser de la colère qui le ronge. C'est un travail que lui seul peut accomplir et c'est sur cet objectif que vous devez vous concentrer, Zoé.
         - Mais il n'arrêtait pas de la contempler. Et il était plus heureux ces derniers temps. J'en suis certaine, je l'ai bien senti.
         - Il la contemplait… Peut-être était-il simplement intrigué par Sarah car il ne comprenait pas la raison de ses rêves quotidiens la concernant? dit-il amusé. Quand au fait qu'il était plus joyeux… Les gens mélancoliques aussi connaissent des accalmies et se sentent bien de temps à autre. Et heureusement, d'ailleurs. Sinon, un bon pourcentage de l'espèce humaine finirait comme vous, sous un camion, railla-t-il en se penchant vers moi.
         - C'était un accident! affirmai-je sur la défensive.
         - Calmez-vous, je suis au courant. Je voulais juste vous taquiner.
         Pour la forme, je montrai les dents et grognai:
         - Alors sachez, Hugo, qu'il y a des sujets dont il ne faut absolument pas plaisanter avec les humains.
         Je lui souris pour lui montrer que je le titillais à mon tour. Et le souvenir de Fontaine me revint en pleine face comme un boomerang.
         Je baissai la tête.
         - J'ai mis un sacré foutoir dans les pensées déjà pas très nettes de Fontaine, dis-je tristement.
         - C'est le moins que l'on puisse dire. Mais ne soyez pas trop dure envers vous-même, Zoé. Monsieur Fontaine s'en remettra très vite. Il ne ressentait aucun sentiment pour Sarah. Et tout le monde commet des erreurs.
         - Même vous?
         - Oui Zoé, même moi, répondit-il évasivement.
         Je demandai timidement.
         - C'est pour cette raison que vous vous êtes absenté? Pour réparer une de vos erreurs?
         - En quelque sorte…
         - Mais vous n'allez plus m'abandonner, hein? ajoutai-je angoissée.
         Il me sourit.
         - Non, rassurez-vous. A présent, je resterai près de vous jusqu'à ce que vous sachiez vous débrouiller toute seule. Je devrai néanmoins m'absenter régulièrement, mais je viendrai ponctuellement prendre de vos nouvelles. Cependant, que cela ne vous empêche pas de continuer votre travail durant mes absences. On est d'accord?
         - On est d'accord.
         - Bien.
         Il se leva et se dirigea vers la commode. Il farfouilla ensuite dans mon tas de feuilles.
         - Pour en revenir à votre tableau de conversion… commença-t-il en le saisissant, je suis très fier de vous, Zoé. Bon nombre de vos prédécesseurs ont mis plus de temps que vous pour y arriver. Certains n'y ont même jamais pensé… soupira-t-il.
         Je le regardai, bouche-bée.
         - Et pour répondre à votre question "existe-t-il un appareil pour vous permettre d'évaluer le temps sur terre?", la réponse est : oui!
         Je le regardai encore plus bouche-bée. Puis je fermai la bouche et me levai tout de go, prête à lui bondir dessus pour lui aboyer quelques injures de mon crû. Ayant deviné mes intentions, il se redressa et pointa dans ma direction un doigt signifiant "Assis!"
         Sans avoir proféré le moindre son, je retombai assise sur mon lit comme l'une des marionnettes de Fontaine.
         Il reprit.
         - Avant que vous vous mettiez dans tous vos états, laissez-moi vous donner quelques explications.
         Il ouvrit le tiroir de la commode, celui qui contenait le dossier de Fontaine, et en sortit une sorte de petit caillou gris et brillant, qui tenait sans problème dans le creux de la main. Durant son absence, j'avais tenté à maintes reprises d'ouvrir ce fichu tiroir. Bien entendu sans succès. J'avais même essayé de le forcer avec un crayon, en pestant de ne pas avoir de coupe papier sous la main. Mais je dus rapidement me rendre à l'évidence.
         Seul Hugo avait le pouvoir d'ouvrir le tiroir magique.
         Je ronchonnai:
         - Il y a encore beaucoup de surprises du même acabit dans votre foutu tiroir?
         Il me lança un sourire espiègle.
         - A votre avis?
         Il m'expliqua ensuite, en pointant triomphalement son truc dans ma direction, que cette petite merveille de la technologie moderne au-delànienne…
         Et bien il fallait la mériter!
         (Et oui, même ici, nous n'avons rien pour rien. Je suis navrée pour tous ceux qui pensaient pouvoir se la couler douce, après leur trépas, dans un quelconque Paradis.)
         Pour mériter le caillou, donc, il fallait tout bonnement avoir inventé un système permettant d'évaluer le temps sur terre. Pas besoin que le système fasse ses preuves. Y penser et essayer de le mettre en pratique suffisait. 
         Le fonctionnement du bidule était on ne peu plus simple. Il suffisait de le serrer dans sa main en pensant très fort à l'heure terrestre que l'on souhaitait atteindre. Cent quatre-vingts secondes avant l'heure dite, l'engin émettait un sifflement et affichait le compte à rebours. Nous avions alors trois minutes pour regagner notre poste. Cela peut sembler insuffisant, mais les distances à parcourir ici sont très courtes. Sans compter que nous pouvons nous déplacer plus rapidement que sur terre. Même si, comme moi, nous ne possédons aucune aptitude sportive.
         Cet objet était un cadeau du Ciel, si je puis dire. Il le tendit dans ma direction, tout en faisant mine de reculer vers la porte au cas où je lui sauterais dessus pour lui arracher les yeux. Le tout, bien entendu, en souriant de toute ses dents.
         Se moquait-il de moi?
         J'émis un grognement. Puis je me saisis du caillou et lui souris. Comment aurais-je pu en vouloir à ce bon gros nounours d'Hugo?
         - Merci Hugo. Et il a un nom, votre machin-truc?
         - Nous l’appelons le siffleur.
         - Le siffleur? C’est nul comme nom. Vous auriez pu trouver mieux. Sans compter que ce nom n’a absolument rien à voir avec sa fonction.
         - Il siffle, non? Alors nous l’avons appelé le siffleur.
         Il leva les yeux au plafond.
         - Pourquoi toujours tout compliquer, Zoé?
         - Pour simplifier, comme vous dites, vous auriez pu l’appeler le compteur… Ce nom aurait été un peu mieux approprié, non?
         Il soupira et quitta la pièce.

         Après son départ, je restai assise un moment et fixai son siffleur dans le creux de ma main. Afin de me racheter vis-à-vis de Fontaine, j'avais pris la décision de l'aider à affronter son cauchemar récurrent du mur à chaque fois qu'il serait emprisonné dedans. A l'aide de mon tableau de conversion, j'avais réalisé qu'il le faisait toujours aux environs de deux heures du matin. Pour étrenner mon nouveau joujou, je décidai donc de le programmer à cette heure-là.
         Et ce fut ainsi que s'écoulèrent de nombreuses heures. J'avais l'impression d'être plongée dans "Un Jour sans Fin", ce film avec Andie MacDowell et Bill Murray dans lequel Bill se réveille tous les matins le jour de la marmotte. A la différence que lui évoluait et que moi je n'avançais pas d'un pouce.
         Toujours la même scène… le même mur… la même fin.
         Une nuit, pour changer, je m'étais aventurée à nouveau dans son sommeil sans rêve, celui que je squattais pour lui balancer des images de Sarah. J'avais imaginé que ce serait une bonne idée de lui dire tout de go de pardonner à son père, comme ça, sans fioriture, pour en finir une fois pour toute avec cette histoire. Je ne vous raconte pas la journée qu'il a passée ensuite. Je ne l'avais jamais vu aussi nerveux, même de mon vivant. Lui qui ne perdait jamais son calme avait envoyé cette pauvre Anne sur les roses parce qu'elle lui avait demandé innocemment comment il se portait, en mettant sa tasse dans le lave-vaisselle. Elle en était toute retournée.
         Et moi aussi.
         Alors je décidai d'abdiquer.
         Pour me ressourcer, je sortais régulièrement à l'air libre. J'avais trouvé une place confortable sous L'Arbre qui n'avait pas été fichu de me cacher aux yeux de Juda et à qui j'avais fini par pardonner son manque d'efficacité.
         Ce jour-là, un jour comme tant d'autre, je m'escrimais à reproduire une gerbe de marguerites. Penchée sur mon bloc de papier, je mettais enfin la touche finale à un pétale, quand je fus agressée par une voix aigüe et infantile.
         - Salut! Tu fais quoi?
         Ma main ripa et un vilain trait noir apparu sur mes jolies marguerites que j'avais mis un temps fou à peaufiner. Je levai vers elle mon regard assassin sans ouvrir la bouche. En face de moi se trouvait une fillette d'une dizaine d'année, tout sourire, totalement inconsciente du tsunami qui allait l'emporter.
         - Ça va pas la tête de surgir derrière les gens comme ça? hurlai-je comme une hystérique.
         Je lui collai mon ex-chef d’œuvre sous les yeux et je beuglai de plus belle.
         - Regarde ce que tu as fait!
         Les quelques quidams présents aux alentours s'arrêtèrent pour me dévisager. La fillette n'avait pas bronché et m'examinait comme si j'étais une bête curieuse. Je soufflais comme un taureau prêt à embrocher le toréador.
         - Tu fais quoi? répéta-t-elle les bras croisés dans son dos.
         Je la fixai, incrédule. Ma parole, elle était suicidaire ou quoi? Et tout à coup, sans savoir pourquoi, j'éclatai en sanglots. C'en était trop. Mon récent décès. Ma mission "Fontaine + Sarah = amoureux pour la vie" avortée. Mes heures passées dans le cauchemar de Fontaine à perdre mon temps. Et puis maintenant ça. Mes belles marguerites qui ne ressemblaient plus à rien. Tout était à refaire.
         - Pourquoi tu pleures? demanda-t-elle toujours aussi impassible.
         Je me relevai péniblement pour regagner ma chambre.
         - Ça… ne te… regarde… pas...
         La fillette n'avait toujours pas esquissé le moindre mouvement pendant que je parvenais enfin à me redresser. Alors elle déplia lentement ses bras, tendit une main vers mon dessin et posa délicatement sa paume sur celui-ci. Une faible lueur éclaira la feuille de papier. Quand elle retira sa main, après quelques secondes, le trait avait disparu.
         - Voilà. Maintenant c'est réparé, affirma-t-elle en recroisant ses bras derrière le dos, son regard rivé au mien.
         Je contemplai mon dessin, ahurie.
         - Oui, c'est réparé. Comment fais-tu ça? ajoutai-je en la considérant.
         Elle haussa les épaules.
         - Je ne sais pas. Je l'ai toujours fait. Tu n'es plus triste, maintenant, hein?
         Je lui souris.
         - Non, maintenant je ne suis plus triste.
         Une fille d'une vingtaine d'années accourait dans notre direction en coupant à travers champs.
         - Camille! Où étais-tu encore passée?
         Camille leva les yeux vers moi pendant que la demoiselle arrivait à notre hauteur. Elle soupira.
         - Je vais encore me faire disputer.
         La demoiselle se trouvait maintenant en face de moi et haletait bruyamment.
         - Qui êtes-vous? s'enquit-elle dans un souffle.
         Je lui tendis la main.
         - Je m'appelle Zoé et je...
         Totalement remise de sa course, elle m'ignora et se tourna vers la fillette.
         - Camille! Combien de fois t'ai-je dit de ne pas t'en aller sans me demander la permission?
         - Cent dix-sept fois, répondit Camille bien droite, comme si elle récitait une leçon.
         J’étais sur le cul. La demoiselle ne paraissait pas le moins du monde surprise.
         - Cent dix-sept fois, vraiment? Et dis-moi… Que n’as-tu donc pas encore compris, au bout de tout ce temps, quand je te dis: "Camille, tu dois me demander la permission avant d'aller t'amuser dehors?" Je t'écoute, ajouta-t-elle les bras croisés en tambourinant du pied.
         Pas commode, la fille au pair, pensai-je.
         - Rien! répondit Camille en riant aux éclats, avant de s'enfuir au pas de course dans la direction que venait d'emprunter sa nounou.
         - Camille! Reviens ici immédiatement! Cette discussion est loin d'être terminée, cria la demoiselle avant de s’élancer à sa poursuite.
         J'espérais sincèrement que Camille n'aurait pas trop d'ennuis. Mais mon petit doigt me disait qu'elle était habituée à ce genre de situation. Et qu'elle devait même un peu les provoquer à l'occasion. Mon siffleur émit son bruit strident et je me rendis rapidement dans ma chambre.
         Le pouvoir de Camille pourrait-il guérir Fontaine, si je l'embarquais avec moi dans son cauchemar?
         Au fait, quelqu'un pouvait-il m'accompagner dans les pensées de Fontaine à part Hugo?

         Fontaine attendait au pied du mur, les yeux fermés. En débarquant, j'eus la sensation que quelque chose avait changé… Je tournai la tête dans tous les sens, à l'affût du moindre bruit suspect.
         Rien.
         J'examinai de nouveau Fontaine. Je restai sur mes gardes et m'approchai lentement de lui. Il reconnu mon pas et me sourit. Il n'avait pas peur, voilà ce qui avait changé. Fontaine était serein. Avait-il vaincu la chose qui le poursuivait jusqu'à présent? Comment?
         Quand je parvins à sa hauteur, il me tendit la main. Je la pris dans la mienne et nous nous dirigeâmes vers la sortie. Il se tenait toujours au mur pour avancer, malgré ma présence, et il n'essaya pas d'ouvrir les yeux. Il entrouvrit la bouche pour me parler. Mais, comme d’habitude, aucun son n'en sortit. Pourquoi ne pouvait-il ni voir ni parler? Si au moins j'avais un ordi, je pourrais aller surfer sur le net pour trouver des renseignements à ce sujet. On trouve tout, sur internet, non? soupirai-je agacée. Fontaine sentit mon irritation et tourna la tête vers moi. Je le rassurai en lui avouant la raison de mon agacement. Il s'apaisa et serra ma main plus fort. Nous nous trouvions maintenant devant la porte. Fontaine ne se décidait pas à la franchir et je lui dis doucement qu'il devait s'en aller.
         Alors il pencha lentement son visage près du mien… 

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Bonsoir!

Je ne parviens pas à poster mon chapitre 8.

Si l'un de vous peut me dire comment procéder pour créer un menu déroulant dans cette colonne, je le remercie infiniment...

Salutations!

Et une excellente année 2016!

:)

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