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Spidy, Tartiflette & Compagnie
24 novembre 2015

Chapitre 6

         - C'est quoi ce bordel? C'est vous qui m'avez balancée contre le mur? hurlai-je sous l'effet de la surprise, de la douleur, de la panique (et pour tout un tas d'autres raisons justifiées dont je n'arrive plus à me souvenir).
         Hugo enjamba précipitamment le lit et se précipita vers moi, l'air affolé. Je n'aurais jamais imaginé qu'il puisse se déplacer aussi vite, avec toutes ses rondeurs. En le voyant si décontenancé, ma colère s'apaisa.
         - Je suis désolée de vous avoir crié dessus, Hugo, dis-je en me relevant.
         Il m’aida à m’installer sur le lit.
         - Ce n'est rien, Zoé. 
         - Que s'est-il passé? J'ai fait une connerie?
         - Vous n'avez commis aucune faute, Zoé. Monsieur Fontaine s'est subitement réveillé. C'est la raison de votre éjection. Souvenez-vous, je vous en avais parlé.
         - Ah oui, c'est vrai. Je m'en souviens vaguement… répondis-je en lissant mon pantalon et en ronchonnant intérieurement.
         Pour quelle raison cet imbécile s’était-il réveillé?
         Hugo s'assit en face de moi, sur la chaise de Ludivine. Il paraissait soucieux.
         Inquiète, je bredouillai.
         - Quelque chose ne va pas, Hugo? Est-ce que j'ai saboté ma mission?
         - Vous n'avez rien gâché du tout, Zoé. Il y aura beaucoup d'autres impondérables et vous apprendrez à vous adapter, n'ayez crainte. Le monde ne s'est pas fait en un jour… ajouta-t-il en souriant avec bonhomie.
         - Alors pourquoi paraissez-vous contrarié?
         - Cela n'a rien à voir avec vous. Malheureusement, je vais devoir m'absenter un certain temps pour résoudre un problème urgent.
         - Ah. Quelqu'un d'autre viendra me superviser? Pas Juda, j'espère, dis-je épouvantée en repensant à notre première rencontre.
         - Non, Juda ne viendra pas vous surveiller, répondit-il en riant. Pourquoi le craignez-vous tant? Il n'est pas aussi terrible que vous le pensez, Zoé. Non, personne ne viendra me remplacer. Vous devrez vous débrouiller toute seule. Tout se passera bien, ajouta-t-il en voyant ma mine déconfite.
         - Et si je devais commettre une erreur irréparable? balbutiai-je.
         - Arrêtez de vous faire du mouron. La seule conséquence que pourra engendrer une mauvaise décision de votre part sera de lui faire passer une très mauvaise journée, me rassura-t-il. A aucun moment, vous n'aurez la possibilité de mettre sa vie en danger, si c'est cela que vous craignez.
         - Alors tant mieux. Je ne voudrais pas avoir la mort de Fontaine sur la conscience, même si je ne le porte pas dans mon cœur.
         Il me sourit et me donna quelques conseils.
         - Donc, pendant mon absence, je compte sur vous pour continuer à mener à bien votre tâche avec monsieur Fontaine. Essayez de ne pas rester connectée sur de trop longues périodes. Privilégiez plutôt de courtes connexions, suivies de moments de repos. Familiarisez-vous également avec les écarts de temps entre chaque connexion. Tentez de vous relier à monsieur Fontaine quand il se trouve chez lui, afin de pouvoir mieux cerner sa personnalité. Vous pourrez ainsi mieux identifier les causes de son mal-être pour y remédier. Des questions?
         - Non, aucune.
         Il se releva et se dirigea vers la commode.
         - Bien. Par ailleurs, Zoé, je vous ai apporté ceci pour vous permettre de vous changer les idées. J'ai lu dans votre dossier que vous aimez dessiner. Est-ce exact?
         Il s'empara d'un bloc de feuilles et d'un bouquet de crayons couleurs qu'il tendit dans ma direction.
         - Euh… oui, c'est vrai. Mais ça fait une éternité que je ne dessine plus vraiment. Depuis que j'ai abandonné le rêve de devenir le prochain Magritte[1], en fait, dis-je en souriant.
         - Et bien, c'est l'occasion de renouer avec votre ancienne passion. Sans compter qu'à présent, vous disposez de tout le temps nécessaire pour réaliser votre rêve, précisa-t-il en reposant le matériel sur le meuble.
         Après m'avoir à nouveau fait ses recommandations, il me serra dans ses bras et quitta la pièce. Dès que la porte se referma derrière lui, je me retrouvai seule pour la première fois depuis mon arrivée ici. J'allai jeter un œil sur le fourbi apporté par Hugo et tripotai un instant les crayons, avant de retourner me rasseoir sur mon lit. Livrée à moi-même, je craignais d'entrer en contact avec Fontaine. Mais je n'avais pas réellement le choix. Et cela m'occuperait jusqu'au retour de Hugo. Je décidai de me reposer quelques heures avant ma prochaine connexion. Etendue sur mon lit, je me remémorais les instructions transmises par Hugo.
         Je me redressai enfin et ouvris les portes de la commode. Quelle heure pouvait-il bien être sur terre? me demandai-je en me rasseyant. Il n'y avait qu'une seule façon de le savoir. 
         J'entamai donc mon processus de connexion.

         Je me retrouvais plongée dans le noir. Etais-je à nouveau dans un de ses foutus cauchemars? Je me concentrai pour essayer de percevoir les émotions de Fontaine et je ne ressentis aucune peur.
         Bien au contraire.
         Je fus imprégnée d'un grand calme. Fontaine semblait heureux.
         Soudain la lumière apparut.
         Je me tenais sous une cascade, qui se tarit après quelques secondes. Le bruit d'une porte qui glisse sur le sol se fit entendre. Le plancher commença à se mouvoir et je réalisai  que je n'étais pas dans un rêve.
         Fontaine était réveillé et sortait de sa douche.
         Il se dirigea vers une serviette de bain suspendue, la saisit et se frotta énergiquement le visage. Je fermai les yeux, histoire de repousser le haut-le-cœur qui se pointait à toute jambe. Heureusement que mon estomac n'avait rien avalé depuis des lustres, sinon… La terre cessa de tanguer et je rouvris les yeux… pour les refermer aussitôt. Merde, Fontaine se trouvait à présent en face de son miroir, nu comme un ver. Hugo aurait quand même pu me donner une montre céleste ou un truc du genre afin que je ne me connecte pas à n'importe quel moment. Encore heureux qu'il ne soit pas sur les chiottes en train de… Beurk, cette pensée me fila la nausée.
         Tout à coup j'entendis un miaulement. Je le connaissais, ce miaulement qui signifiait "Magne toi, c'est l'heure de la bouffe!". J'en déduisis que les vivants entamaient une nouvelle journée et que Fontaine n'avait pas encore rempli la gamelle de Tartiflette.
         Avec précaution, j'ouvris un œil pour voir si il avait retrouvé une allure décente. Vêtu d'un T-shirt gris et d'un pantalon de jogging de la même couleur, il n'avait pas bougé. Il fixait son reflet dans le miroir d'un air absent. Sa barbe naissante me fit penser qu'il devait être en congé. C'était la première fois que je l'examinais d'aussi près. Une tête de moins que moi, une corpulence qui faisait la moitié de la mienne, des cheveux châtain foncé ébouriffés, une cicatrice sur le front que je savais maintenant provenir de son accident de moto, des yeux gris-bleus qui lui donnaient un air éternellement triste. Francine l'avait toujours trouvé "beau garçon", comme elle disait. C'est clair qu'elle n'avait pas tort. Mais bon, le physique ne fait pas tout.
         Brusquement, il revint dans le monde réel (et moi aussi, par la même occasion) et se tourna vers Tartiflette qui n'avait pas cessé ses miaulements intempestifs. Sale bête, sifflai-je. Sur ce coup, il a été bien sympa, Fontaine. Perso, je t'aurais balancée directus à la SPA! En même temps, il en fallait des tripes pour tenir tête à Francine, souris-je. La connaissant, cela ne m'étonnerait pas qu'elle vînt rendre visite à Fontaine à l'improviste pour voir s'il s'occupait correctement de cette chatte.
         Tartiflette me fixait (ou plutôt fixait Fontaine) avec son regard bleu louchant. Elle attendait en silence, assise sur son arrière train à côté de la porte de la salle de bain, que son hôte daigne lui remplir sa gamelle de croquettes.
         Sentant poindre la fatigue, je décidais d'en rester là pour l'instant. Et d'ailleurs, j'en avais assez vu comme ça avec l'épisode de la douche.

         
         Après cette troisième connexion, je me sentais beaucoup mieux. Cette amélioration était sans doute due à ma longue expérience en la matière, ironisai-je en me levant. Je décidai de sortir m'aérer quelques heures avec mon matériel à dessin. En ouvrant la porte, je jetai un coup d'œil à mon reflet et constatai que j'avais meilleure mine qu'à mon arrivée. J'avais repris quelques couleurs, malgré mon état de trépassée. Mes cheveux avaient retrouvés leur jolie teinte rousse et mes yeux n'étaient plus encerclés des cernes résultant de mes insomnies.
         Je me baladai un peu comme j'aimais le faire de mon vivant. J'espérais rencontrer quelqu'un que je connaissais. Mes parents ou ma grand-mère. Je fis également quelques croquis de la végétation florale ambiante assise à même le sol. Mais je finis rapidement par m'ennuyer. Pour tout vous dire, je commençais à prendre goût à mes escapades dans la tête de Fontaine.
         De retour dans ma chambre, je déposai mon fourbi sur la commode en séparant mes dessins des feuilles vierges. J'inscrivis sur un morceau de papier de demander de l'adhésif à Hugo pour accrocher mes croquis au mur, afin d'égayer un peu la pièce, avant de libérer l'écran et de prendre place sur mon lit. Il y avait une question qui me taraudait et que je ne savais absolument pas comment résoudre.
         C'était le problème du temps.
         Comment parvenir à connaître précisément l'heure à laquelle vivait Fontaine sur terre pour pouvoir m'introduire dans sa tête au moment où j'avais envie d'y entrer? Il me fallait un genre de calculatrice ou de tableau pour convertir le "temps au-delà" en "temps terrestre". Mais si un tel objet existait, Hugo m'en aurait certainement donné un exemplaire, non? Ne pas oublier de lui poser la question, me dis-je en me dirigeant vers mon aide-mémoire.
         Assise sur mon lit, je pénétrai à nouveau dans l'esprit de Fontaine.

         Il se trouvait dans la salle de pause. Un certain nombre de jours s'étaient donc écoulés depuis ma dernière connexion. Fontaine se tenait debout à sa place habituelle. Une rapide plongée dans mes souvenirs me certifia que je ne l'avais jamais vu assis avec nous autour de la fameuse table ronde[2] "où nous sommes tous égaux" de BigBoss. Table autour de laquelle BigBoss n'est jamais venu s'asseoir en compagnie de nous autres simples mortels, soit dit en passant. Certains films devraient vraiment être interdits à certaines personnes, si c'est pour nous pourrir la vie avec des idées à la con, soupirai-je en levant les yeux au ciel.
         Autour de cette merveille en matière d'ébénisterie campaient les éternels habitués, à savoir Francine, Louis et Anne. Mais aujourd'hui il y avait également PYF, alias Pierre-Yves Fabret, collègue de Fontaine, mi quarantenaire fraichement divorcé, un cauchemar ambulant pour toute la gente féminine de vingt à trente ans. Avant mon décès, ce vrai stéréotype venait de s'acheter une BMW décapotable rouge flambant neuve. L'engin que l'on ne pouvait vraiment pas loupé. Beurk! A mon avis, il aurait mieux fait d'investir dans des implants capillaires. Je vis aussi une nouvelle employée, assise entre Francine et Anne. Et oui, personne n'est irremplaçable et la terre continuera toujours de tourner après notre départ…
         Je tendis l'oreille pour écouter leur conversation.
         - … et les quarantenaires-cinquantenaires qui cherchent des filles de vingt à trente ans… bien fermes de partout et tout et tout… ne serait-ce pas plutôt par lâcheté, parce que vous savez très bien que vous n'auriez aucune chance avec une femme de votre âge? lança la nouvelle à PYF sur un ton de défi.
         - Lâcheté? Je ne comprends pas…, répliqua PYF sur la défensive.
         - Disons alors par facilité, si vous préférez. Parce qu'une gourde de vingt ans est plus malléable et impressionnable qu'une femme de quarante, non?
         Elle se mit alors à singer la gourde de vingt ans. Cette conversation plaisait de moins en moins à PYF qui s'insurgea.
         - Vous racontez vraiment n'importe quoi, Sarah. Des femmes de quarante ans, comme vous dites, je pourrais en avoir à la pelle si l'envie m'en prenait.
         - Vraiment? J'aimerais bien voir ça, ricana-t-elle.
         PYF lui jeta un regard mauvais, se leva de table en bombant le torse et quitta la pièce sans prendre la peine de ranger sa tasse dans le lave-vaisselle. En mentionnant au passage,  sur un ton suffisant, que les tâches ménagères incombaient aux femmes.
         - Pauvre type, sifflai-je.
         - Pauvre type, siffla Sarah au même instant.
         Décidément, cette Sarah me plaisait beaucoup. Et très mignonne, qui plus est, avec son carré châtain, ses yeux noisette et sa taille de guêpe comparée au bourdon que je suis. Et Fontaine ne l'avait pas quittée des yeux. Lui plaisait-elle aussi? Il semblait amusé, mais je ne ressentais pas d'attirance de sa part. Il était sans doute encore trop tôt pour cela, elle venait de débarquer.
         Euréka! m'exclamai-je soudain. Je venais de trouver LA solution pour combattre la mélancolie de Fontaine.
         L'Amour!
         "All you need is love"[3], comme l'ont si bien chanté les Beatles.
         C'était décidé, j'allais le caser avec Sarah.
         Quand Hugo rentrerait de sa mission top secrète, Fontaine nagerait dans un immense océan d'amour et tout irait "pour le mieux dans le meilleur des mondes"[4].
         Peut-être aurais-je même droit à une promotion?
         Ce fut donc toute guillerette, avec des projets plein la tête, que je quittais Fontaine.

         Je devais échafauder un plan.



[1] René François Ghislain Magritte (1898-1967), peintre surréaliste
[2] Référence à la Table ronde du roi Arthur
[3] Chanson des Beatles,  écrite par John Lennon
[4] Candide, de Voltaire

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Spidy, Tartiflette & Compagnie
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Besoin d'aide

Bonsoir!

Je ne parviens pas à poster mon chapitre 8.

Si l'un de vous peut me dire comment procéder pour créer un menu déroulant dans cette colonne, je le remercie infiniment...

Salutations!

Et une excellente année 2016!

:)

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