Mardi 25 juin 2013
(retranscription diverses notes antérieures au 25 juin)
Mercredi 5 juin 2013
Voilà plusieurs semaines que j'hésite entre consulter un psy ou griffonner mes états d'âme dans ce cahier, suite à la lecture d'un article dans un magazine féminin. Article qui vantait les mérites de la thérapie par l'écriture pour surmonter la perte d'un être cher.
Zoé... Je m'en souviens comme si c'était hier.
Elle nous a quitté le 13 avril. Un samedi matin. Percutée de plein fouet par un camion. Accident ou suicide? Depuis sa disparition, elle me rend régulièrement visite dans mon cauchemar récurent. Elle qui me détestait de son vivant. Pour quelle raison? Je ne m'en plains pas, bien au contraire.
Lundi matin elle n'était pas venue travailler. Mme Ménard n'avait parlé que de son absence pendant la pause. Elle avait téléphoné chez Zoé à plusieurs reprises, sans succès. Mme Blondeau aussi était nerveuse, car cela ne lui ressemblait pas de manquer une journée de boulot. M. Ménard, agacé par leurs bavardages, avait fini par perdre patience et avait suggéré à son épouse de rendre visite à la petite en début de soirée. N'y tenant plus, Mme Ménard y était allée pendant sa pause déjeuner.
Vers quatorze heures, je l'avais croisée dans les étages. Elle sortait des WC, les yeux rougis. Elle me raconta sa visite chez Zoé, les deux voitures de police, la voisine totalement exaltée qui lui avait raconté que Zoé s'était jetée sous un camion qui roulait à vive allure sur l'autoroute samedi matin et que la police venait de découvrir qu'elle vivait dans cet immeuble.
- Jamais notre Zoé n'aurait fait une telle chose, m'avait dit Mme Ménard en larmes. Je sais que vous ne la connaissiez pas vraiment, M. Fontaine. Mais croyez-moi, je sais que j'ai raison…
- Je vous crois, Mme Ménard, avais-je répondu le souffle coupé.
- Cette horrible femme, si vous saviez tout ce qu'elle m'a raconté… avait-elle ajouté avant de se précipiter à nouveau aux WC. J’étais resté planté là, en état de choc, ne voulant pas croire ce que je venais d'entendre. Puis j’étais sorti de ma torpeur et j'avais regagné mon bureau. Après une heure passée à me morfondre, j’étais rentré chez moi.
Dans la soirée, ils avaient évoqué cette histoire aux infos locales. J’avais vu une femme d'une soixantaine d'années se faire interviewer. Elle se tenait debout face à la caméra, devant l'immeuble de Zoé, et avait pointé son doigt en direction d'un appartement situé dans les étages. Elle avait parlé de cette "pauvre Mlle Bourdon", qui avait l'air toujours si triste, et de son abominable chat. N'en supportant plus davantage, j'avais éteint la TV avant de jeter la télécommande contre le mur.
Le lendemain matin, à la première heure, je m’étais rendu dans le bureau de Mme Ménard pour lui dire que j'avais entendu parler du chat de Zoé, la veille aux infos.
- Et maintenant, tu es là, Tartiflette, dis-je en levant les yeux de mon calepin.
Fidèle à elle-même, la siamoise venait de pointer le bout de son nez tandis que j'écrivais. Assise devant moi, elle attend que je déguerpisse de mon fauteuil pour venir s'y installer.
- Encore une minute, Tartiflette. Je finis mon café.
Vendredi 7 juin 2013
Je me suis levé à 6h30, de très bonne humeur après une nuit complète de sommeil. Et surtout la visite de Zoé. En ce qui concerne les rêves de Sarah, j'ai décidé de ne plus me prendre la tête et d’éviter de la dévorer des yeux, suite à son pétage de plomb lundi matin. Pendant la pause je l'aurais, selon ses dires, fixée intensément.
N'importe quoi.
A la vérité, j’étais totalement perdu dans mes pensées, incapable d’oublier la présence de Zoé dans mon cauchemar. Mon regard était sans doute scotché sur elle à ce moment-là.
Donc, à 10h30, je boitais dans le couloir en direction de mon bureau quand elle m’a sauté dessus sans crier gare.
- Monsieur Fontaine?
Elle paraissait hors d’elle. Je l’ai regardée, stupéfait.
- Monsieur Fontaine… pourrais-je savoir pourquoi vous me dévorez des yeux tous les matins?
Je la dévorais des yeux, moi? N’était-ce pas un peu exagéré?
Quoique…
Il est vrai que tous ces rêves étranges me mettent le cerveau sans dessus dessous. Naïvement, je n’avais pas envisagé que mon comportement déplacé aurait pu avoir ce genre d’impact, à savoir qu’elle viendrait m’aborder dans toute sa fureur. J’étais sur le point de lui donner la raison de ma conduite inqualifiable et de lui présenter mes excuses, quand PYF s’est porté (malgré lui) à mon secours dans une vaine tentative (encore une!) de l’inviter à sortir.
Pauvre PYF! Peut-être devrait-il se contenter de fréquenter la tranche 20-30 ans…
Devrais-je prendre mes pauses dans une autre salle? Zoé n’étant plus là, c’est vrai que je n’ai plus aucune raison valable de me rendre dans celle-ci jour après jour.
07h20 / J'ai quitté mon bureau satisfait de ma journée et impatient de revoir Zoé cette nuit. Est-ce malsain de vivre ainsi? Ne devrais-je pas tourner la page et rencontrer une personne en chair et en os? Quand Zoé était vivante, je ne pouvais m'y résoudre.
Mais maintenant…
Après avoir franchi la porte principale, je me suis arrêté un instant pour humer l’air chaud de cette fin d’après-mid. Sarah attendait sur le parking. Qui attendait-elle ainsi? Ce n’est tout de même pas elle, la nouvelle lubie de PYF? me demandai-je incrédule au moment où le principal intéressé passait justement devant moi au volant de sa décapotable. J’ai attendu un instant pour confirmer mes doutes. Allait-il s'arrêter à sa hauteur? Non, il a poursuivi sa route.
Tandis que je marchais vers Sarah en regardant où je mettais les pieds, je me dis que j'avais vraiment de drôles d'idées qui me passaient par la tête quelquefois. C'est alors que j’ai entendu un crissement de pneus, suivi d’un claquement de portière. J’ai relevé la tête. Devant moi, BT aboyait sur une jeune femme qui venait de sortir de sa voiture de sport. Après l’avoir remis rapidement à sa place, elle a couru vers Sarah pour se jeter dans ses bras.
J'étais stupéfait. Jamais je n'aurais imaginé que Sarah…
Mais quelqu'un venait de s'immobiliser à mes côtés. C'était Mme Ménard en état de choc. Je lui ai demandé si elle se sentait bien. Elle m’a regardé, sidérée, avant de quitter le parking presque au pas de course.
Pauvre Mme Ménard. Elle qui nourrissait de si grands espoirs pour Sarah et moi depuis que j'avais commis l'erreur de lui dévoiler, l'autre jour, mes rêves la concernant devant la machine à café. Exaltée, elle s’était mise tout de suite à raconter un tas d'inepties aux sujets de signes et de rêves prémonitoires. Selon elle, Sarah était LA Femme de ma vie et il n'y avait aucun doute à ce sujet. Me rendant compte beaucoup trop tard de ma bévue, je l’avais priée instamment de ne pas relater cette histoire à la principale intéressée. Elle m’avait juré de garder le secret.
Le côté positif de la chose, c'est qu'à présent elle ne m'ennuiera plus avec ses théories de rêves prémonitoires.
S’ensuivit une vague de tristesse. Je suis passé devant elles, tête baissée. Les voir ainsi m’a fait prendre conscience que jamais je ne pourrais vivre une telle relation avec Zoé.
Pourquoi ne l’avais-je jamais invitée? J’aurais dû le faire. J’aurais dû lui avouer mes sentiments pendant qu’il était encore possible de le faire. Même si je sais pertinemment qu’elle m’aurait éconduit. La conversation entre Zoé et Mme Ménard, entendue par mégarde environ 3 mois après l'épisode de cette foutue assiette, m'est revenue en pleine face.
Ce jour-là, j’avais décidé de prendre mon courage à deux mains et de l’inviter un soir après le boulot. A l'endroit qui lui plairait. Je savais qu’avant de rentrer chez elle, vers dix-sept heures, elle faisait une halte en salle de pause pour vider le lave-vaisselle. Je décidai donc de m’y rendre à ce moment-là. Je pris l’ascenseur pour monter à son étage, le cœur battant. En m’avançant dans le couloir, j’entendis la voix de Zoé. La porte de la salle de pause était entre-ouverte. Par l’entrebâillement, j’aperçus le dos de Mme Ménard. Zoé, sur la pointe des pieds, rangeait les tasses dans le placard au-dessus du lave-vaisselle, à demi cachée par Mme Ménard.
- … si tu le dis, Francine. Il n’empêche que je me souviens encore de la façon dont il m’a traitée, quand j’avais voulu l’aider à ramasser les morceaux de sa foutue assiette. Et tu n’étais pas là quand il a balancé son dossier sur le bureau de sa secrétaire. Il s’en est fallu de peu qu’elle se le prenne en pleine tronche, sans exagérer…
Mme Ménard se poussa légèrement de côté pour la laisser passer.
- Oui, c’est vrai que toi, tu n’as jamais tendance à en rajouter une couche.
Zoé se tourna vers elle et lui tira la langue.
- Peut-être bien que j’en fais un peu trop quelquefois, mais en ce qui concerne Fontaine, je sais que j’ai raison. C’est un type arrogant, qui prend tout le monde de haut avec sa panoplie de diplômes. Et moi, je ne veux plus rien avoir à faire avec ce genre de type. J’ai déjà donné avec l’autre con d’informaticien, là… ajouta-t-elle énervée en jetant une assiette dans le lave-vaisselle. Non, Francine, je t’assure. Même si c’était le dernier mec sur terre, je n’en voudrais pour rien au monde!
Oui, c’était clair que si je l’avais abordée par la suite, elle m’aurait envoyé sur les roses. Mais j'aurais dû essayer. Et insister. Lui montrer qu'elle avait tort à mon sujet.
Y a-t-il un sens caché au fait que je rêve de Zoé depuis son décès?
22h10 / J'attends impatiemment la prochaine visite de Zoé et le départ de Sarah (je fais référence aux rêves, bien entendu).
Mercredi 19 juin 2013
Sarah définitivement sortie de mes rêves. Remplacée par mon père...
Mardi 25 juin 2013
Aujourd'hui c'est la Saint Prosper... étrange...
Après vérification sur internet, il existe bel et bien. Connu pour ses écrits. Devenu le secrétaire du Pape Léon 1er. Etc. Autant pour moi. Noter de penser à me cultiver pendant mes prochaines vacances.
Moral au beau fixe, malgré réveil en sursaut vers 2h15. Depuis 2 semaines, Zoé n'a pas manqué une seule visite. Les rêves de Sarah ont cessé. Mon père n'est plus réapparu.
Mon rêve de cette nuit était différent. Il m'a fallu un moment pour mettre le doigt sur ce qui avait changé, mais j'ai fini par comprendre. J'étais déprogrammé. Je suis toujours incapable d'ouvrir les yeux, chaque tentative me procurant une douleur intense, une sorte de brûlure. Et cette sensation d'être pourchassé... Non, pas une sensation, une certitude. Par qui et pour quelle raison? La première fois que j'ai percuté Zoé, j'étais certain que cette chose avait enfin réussi à m'attraper depuis toutes ces années. Quand cette femme (que j'ignorais alors être Zoé) avait pris mes mains dans les siennes et qu'elle s'était mise à parler pour me rassurer, j'avais d'abord pensé à un piège. Qui était-elle? Comment connaissait-elle mon nom? D'où sortait-elle après toutes ces années? En me conduisant vers la sortie, je l'avais heurtée et ses cheveux avaient alors frôlé mon visage. Son odeur... Cette odeur que je reconnaîtrais entre mille... l'odeur de Zoé.
Pour en revenir au rêve de cette nuit... Au lieu de chercher la sortie tel un pantin, j'avais patiemment attendu sa venue devant le mur. Je savais qu'elle viendrait. Quand j'avais senti sa présence à mes côtés, je lui avais tendu la main. Et...
Et j'avais tenté de l'embrasser juste avant qu'elle disparaisse!
Quel idiot! Heureusement que ce n'était qu'un rêve.
Sa disparition... Etait-ce un hasard ou l'avait-elle décidée?
Pourquoi ces changements? Est-ce lié au fait que je m'acclimate à sa présence? Pourquoi vient-elle m'aider? L'oblige-t-on à venir? Qui?
Je sais qu'elle me déteste. Jamais elle ne viendrait de son plein gré.
Avant ses visites, je n'étais jamais parvenu à m'enfuir. Mon cauchemar suivait toujours le même schéma. Je me retrouvais agrippé au mur, en tentant désespérément de trouver une sortie. Mon poursuivant surgissait dans mon dos. Je sentais son souffle sur ma nuque et j'avais alors la certitude que mon heure était venue. Puis, juste avant qu'il ne parvienne à mettre son dessein à exécution, je me réveillais dans mon lit.
Mais au fur et à mesure des apparitions de Zoé, je sens la peur reculer. Mon assassin est toujours tapi là, quelque part. J'en mettrais ma main au feu. Mais la présence de Zoé l'empêche de s'approcher de moi.
Pourquoi est-ce que je me prends autant la tête pour des rêves? J’ai l’impression qu’ils sont devenus toute ma vie.
Je devrais me trouver un hobby à l’extérieur de mon appartement.